Raphy Marciano : « La dignité de la différence »

Le billet de Raphy Marciano, Directeur de l’Espace Culturel et Universitaire Juif d’Europe.

Le titre du magnifique essai du Grand Rabbin Jonathan Sacks, ancien Grand Rabbin d’Angleterre, « La dignité de la différence » mérite réflexion. La différence n’est pas honteuse, condamnable, absurde. Elle n’est pas source nécessaire de conflits, de tensions de haine, elle peut être vécue dans le respect mutuel, dans le dialogue et dans la compréhension réciproque.
Que cette idée soit énoncée est significatif de l’effort de pensée, qui voit le jour dans l’espace planétaire : comment vivre avec l’autre… avec tous les autres ? Le judaïsme n’est pas étranger, à cette réflexion…
En Israël et en diaspora le rapport de notre peuple aux autres cultures, aux autres confessions, aux autres sociétés, est au cœur d’un débat où des positions doctrinales très différentes s’expriment. Nous ne sommes pas dans la posture des maîtres à penser officiels du judaïsme, rôle qui d’ailleurs n’existe pas. Notre réflexion est moins dogmatique et plus ouverte. Nous invitons à un grand débat démocratique sur le judaïsme, face à l’autre, car nous sommes les héritiers d’une tradition de plus de 3000 ans, où s’exprime (dans les textes bibliques, talmudiques et rabbiniques) l’impératif éthique de l’amour de l’étranger, de l’accueil du refugié, dans le respect de l’autre.
Comment les juifs de notre temps traduisent-ils au sein de leurs sociétés, et dans le pays où ils vivent cet impératif majeur de la tradition d’Israël ? Il s’agit d’une question sociétale urgente dans un monde menacé par la peur et le soupçon de la différence car l’autre nous apparaît trop souvent comme menaçant, troublant, dangereux. Sommes-nous véritablement fidèles aux leçons de la sagesse juive millénaire ?
Notre identité juive nous impose de réfléchir, en toute liberté, loin des clichés idéologiques et des préjugés collectifs, à ce qui pose problème dans la Cité d’aujourd’hui, que représente dans la réalité concrète l’autre, l’autre en face de vous, celui qui n’est pas une pure abstraction, mais un être réel, l’étranger qui partage avec nous la condition humaine, mais qui incarne une autre identité spirituelle, culturelle, historique ?
Comment réagissons-nous face à lui ? Avec tolérance, empathie, ouverture ou avec méfiance, froideur, indifférence ?
A nous de nous interroger sur cette question incontournable, comment aller vers l’autre en étant soi-même. L’étranger ne doit plus nous être étranger.
Mais, une question tout aussi préoccupante se pose, le judaïsme contemporain, sera-t-il capable de reconnaître la légitimité des différences à l’intérieur de la société juive, car celle-ci n’est pas monolithique, elle est composée de multiples sensibilités, de courants divers.
Allons-nous vers une reconnaissance mutuelle et un dialogue fécond entre tous les courants de la vie juive ? Ou allons-nous refuser à ceux qui vivent le judaïsme d’une autre façon, le droit à une légitime différence ? Non tolérée avec résignation et regret, mais plutôt reconnue et acceptée comme une source de richesse et d’épanouissement pour une civilisation juive plurielle.

« Réfléchir, en toute liberté, loin des clichés idéologiques et des préjugés collectifs. »

L’idée de la dignité de la différence implique que l’autre est porteur de valeurs, il nous enrichit avec sa propre culture, il ne doit pas éliminer sa personnalité, et se fondre dans la masse pour jouer un rôle positif dans la société d’aujourd’hui.
C’est cette réflexion sur l’avenir qui doit être l’impératif historique des défis, des ambitions et des projets pour la communauté juive d’aujourd’hui et de demain.
Ce souci de l’autre ne saurait être purement théorique, il doit s’affirmer par des actions concrètes, par des gestes courageux de solidarité. C’est le sens du mois de la Tsédaka qui nous encourage tous à être les acteurs d’une œuvre d’humanité bienveillante dans la tradition du message de nos sages et de nos prophètes.

Raphy Marciano