Discours des communautés chrétiennes pour le 8 mai par Philippe Jospin

Madame le Maire, Mesdames et Messieurs les élus, chers amis,

Il me revient le redoutable honneur de prendre la parole au nom des communautés chrétiennes de Sucy. Je ne sais pas si je mesure bien l’ampleur de ma responsabilité, en cet instant.
8 mai 1945 – 8 mai 2015.
Soixante dixième anniversaire de la fin de la guerre en Europe, 70ème anniversaire de  la victoire.
Amère victoire qui arrive après que des dizaines de millions de combattants et de victimes civiles des bombardements soient morts. La France a elle-même perdu       200 000 soldats, près de 20 000 étaient maghrébins.
Après que des millions de juifs aient été victimes de cette abomination que fut l’holocauste. Après que des milliers de tsiganes, d’homosexuels, de résistants aient été victimes des camps de concentration.
Amère victoire qui a vu notre pays dévasté par la guerre et sa population épuisée après 5 ans d’occupation.
Amère victoire mais victoire qui mettait un terme à cette guerre de 30 ans, franco-allemande,commencée en septembre 1914.
Amère victoire, mais victoire qui portait en elle-même l’obligation de la réconciliation entre la France et l’Allemagne et aussi l’obligation de la réconciliation entre français eux-mêmes.
Cet anniversaire du 8 mai 1945 réveille en moi un certain nombre de souvenirs à tout jamais gravés dans ma mémoire.
Pendant la guerre, ma famille habitait un quartier populaire du 11ème arrondissement.
Je me souviens avoir vu, dans notre rue, un autobus de la RATP dans lequel des personnes étaient forcées de monter par la police française. Nous savions bien qu’il s’agissait de personnes juives et je me rappelle ma mère dire : « les pauvres gens ». J’avais alors assisté à un épisode de ce que l’on appellera, plus tard : »la rafle du Vel D’hiv  » en 1942.

Plus tard, en 1945, à l’école primaire j’ai eu des petits camarades de classe qui s’appelaient Cohen, Eskénazi, Goldestein (à l’époque l’usage du prénom n’avait pas cours) et d’autres. J’ai appris qu’ils étaient juifs. Ces jeunes garçons étaient orphelins, pupilles de la Nation.
L’un d’entre eux nous racontait avoir été caché dans une poubelle par une personne courageuse,
pour ne pas être emporté avec ses parents vers on ne savait quelle destination. Puis ce jeune enfant, 4 ans, a été pris en charge par des personnes de bonne volonté et jamais dénoncé. Il est devenu un copain d’école.
Plus tard encore, j’ai appris que deux villes d’Europe avaient été proclamées « Justes parmi les nations » par le mémorial Yad Vashem et que l’une d’elles se trouvait en France : Le Chambon sur Lignon. Vingt-cinq de ses habitants ont eux-mêmes été proclamées « Justes parmi les nations ».
Là, sur cette terre huguenote du nord des Cévennes, des centaines de personnes juives ont été accueillies, cachées, sauvées par des chrétiens qui, au péril de leur vie, ont mis en pratique ce Commandement essentiel des Evangiles : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ».
Bien sûr, il y eut bien d’autres personnes en France qui ont eu ce courage. Je ne vous ai donné ces exemples que parce que je les connais bien.
Dans la nuit de l’occupation, tous ces français, du onzième arrondissement, du Chambon et d’ailleurs ont fait briller la lumière de la fraternité.
Ils ont résisté, ils ont sauvé l’honneur de la France. Nous leur devons une reconnaissance et un respect infini.
Réconciliation et Résistance : ce sont bien là les messages essentiels du 8 mai.
Aujourd’hui, à une époque où un vent mauvais souffle sur notre pays, le vent mauvais du racisme, de l’antisémitisme, du rejet de l’autre au motif qu’il est différent,               A une époque où des personnes juives sont assassinées à Toulouse ou à Vincennes au motif qu’elles sont juives, à une époque où la communauté catholique de Villejuif a fait l’objet d’un projet d’attaque dont les résultats auraient été dramatiques, au motif qu’il s’agissait de chrétiens, à une époque où, en conséquence, des mosquées sont dégradées, à une époque où des sépultures sont profanées, à une époque où nous sommes tous, sans exception, menacés parce que nous sommes français et républicains, par des barbares qui voudraient nous imposer une idéologie mortifère
qui n’a d’égale que celle du nazisme,
Nous avons, nous chrétiens, le devoir absolu de résister.
Résister à la tentation du repli communautaire et du repli identitaire,                 Résister à la méfiance vis-à-vis de l’autre,                                                          Résister à la tentation de la peur de l’autre,
Nous avons le devoir de nous réconcilier.
De nous réconcilier toujours avec nos frères, quelle que soit leur religion. L’appel lancé
par Mgr PONTIER, président de la Conférence des évêques de France, puis par Haïm KORSIA, Grand Rabin de France et enfin par Dalil BOUBAKEUR, Recteur de la Grande Mosquée de Paris, est, à cet égard, exemplaire : soyons tous, plus que jamais, les gardiens de nos frères.
Nous avons ainsi  le devoir de, toujours davantage, développer la coopération et  la solidarité entre nos communautés.
Nous avons le devoir d’amener les jeunes de nos différentes communautés à se rencontrer pour se mieux connaître, pour comprendre les spécificités de leurs religions dans le respect mutuel et en pleine lumière. En pleine lumière car de l’obscurité nait l’obscurantisme.
Résistance et réconciliation. Voici, pour nous, chrétiens, les deux messages du 8 mai.
N’oublions jamais, à cet égard, l’exemple qui nous a été donné par Jeanine Devaux.
Antoine de Saint Exupéry a écrit : « l’Amour de Dieu a fait de l’espérance une vertu ». Que nos communautés soient toujours et toujours porteuses d’espérance pour nos compatriotes, d’espérance dans une société où chacun se sentira libre, où chacun sera traité de façon égale et où chacun pourra vivre la fraternité.
Je vous remercie de votre attention.

Philippe Jospin