Discours prononcé par Madame le Maire lors des vœux inter religieux de dimanche

Dimanche 25 janvier 2015

Mesdames, Messieurs les élus, Chers Collègues,

Messieurs les représentants des communautés religieuses, juive, musulmane, catholique, orthodoxe, protestante,

Mesdames et Messieurs,

Nous nous retrouvons cette année dans un climat très particulier, à quelques jours des attentats qui ont endeuillé notre pays.

Dans un tel contexte, la parole de chacun est d’autant plus attendue. Plus que jamais, cet échange de vœux prend tout son sens. Oui, nous avons tous un message à porter, vous communautés religieuses, nous Municipalité.

Pour ma part, il m’a paru évident d’aborder un sujet fondamental qui est au cœur de notre modèle social et qui fait aussi toute la singularité des violences que nous avons connues chez nous. Je veux parler de notre interprétation de la laïcité et de la liberté d’expression.

Le préambule de notre Constitution nous précise ceci : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. »

Notre République protège toutes les croyances, leur reconnaît une place à chacune. Elle sépare aussi très clairement la sphère publique et la sphère religieuse en défendant un principe de neutralité des services publics et des institutions politiques. Elle défend la liberté de croire et celle de ne pas croire.

Ce modèle français, fruit d’une longue histoire et hérité de la Révolution, est à la fois singulier et exigeant.

Singulier, oui il l’est. Il n’y a qu’en France, à ma connaissance, où l’on s’en est pris, dans un tel déchaînement de violence, à un journal en cherchant à tuer un à un l’ensemble de ses auteurs parce qu’il n’y a guère qu’en France où l’on accepte une telle liberté d’expression qui va jusqu’à inclure le très mauvais goût et la franche provocation à l’égard de toutes les institutions, de toutes les religions. Il suffit pour s’en convaincre de voir les réactions dans le monde, certes plus ou moins spontanées, dans les pays musulmans mais aussi dans le monde anglo-saxon, à la dernière parution du journal Charlie Hebdo. Le Pape lui-même a fait part de sa réaction avec une franchise et une sincérité qui rejoint finalement ce que beaucoup pensent en le disant plus ou moins ouvertement.

Exigeant, oui, notre modèle est très exigeant. Il ne s’agit pas d’avoir raison contre le monde ou de se considérer comme supérieur à tous. Ce sont là deux travers, il est vrai, très français. Il s’agit simplement de rappeler ce qui constitue notre socle commun, c’est-à-dire notre conception de la liberté et de la Nation qui est une et indivisible, qui s’oppose au communautarisme. Rappeler la place qui est celle des religions. Nous devons inlassablement défendre et expliquer notre histoire et ce modèle qui est un point d’équilibre que nous avons mis plusieurs siècles à atteindre.

Cette exigence ne nous empêche pas, bien au contraire, de respecter les croyances de chacun, de prendre soin de ne pas heurter celui qui pense différemment de nous, de ne pas donner l’impression si dévastatrice d’une liberté d’expression à géométrie variable. Mais, ne nous le cachons pas, la difficulté est là.

C’est vrai pour la Municipalité à laquelle il revient de faire appliquer au quotidien nos principes républicains. C’est vrai aussi pour vous, représentants de toutes les confessions. J’en suis bien consciente. Par nature, les religions procèdent du sacré et de l’absolu. Reconnaître les limites posées dans le monde temporel et s’insérer dans un ordre laïc ne va pas toujours de soi.

Vous l’avez peut être remarqué, à Sucy, nous avons fait très attention à ne pas tomber dans l’utilisation un peu facile et systématique du slogan « nous sommes tous Charlie ». Non pas évidemment que nous ne nous reconnaissons pas dans la défense de nos valeurs et de la liberté d’expression telle que nous la concevons en France. Nous nous y reconnaissons pleinement et nous réaffirmons ici que ces valeurs ne sont pas négociables. Mais « être Charlie », c’est aussi avoir le droit de ne pas être d’accord avec Charlie. Et heureusement ! C’est en pensant à tous les sucyciens, dans toute l’étendue de leurs croyances, de leurs origines et de leurs appartenances que nous avons fait ce choix. Dans le même temps, le principe qui nous guide est très clair. C’est celui de la tolérance inspirée par l’esprit des Lumières : « je ne suis pas d’accord avec vos idées mais je me battrai pour que vous puissiez les exprimer ! »

Il y a quelque malice à citer devant vous cette célèbre formule prêtée à Voltaire ou plus exactement inspirée des thèses qu’il a défendues, lui qui, bien que croyant en Dieu, a pris ses distances avec toutes les religions. J’espère que vous ne m’en voudrez pas trop !

Il s’agit pour moi de remonter par là aux origines mêmes de la laïcité à la française. Il s’agit de dire que, par delà toutes nos différences, nous pouvons et nous devons nous réunir dans un même attachement à nos valeurs, dans une même défense de nos principes. Nous avons tous un rôle d’explication à jouer, chacun avec ses mots et chacun à sa manière, à l’image de ce que nous avons fait le mercredi 14 janvier lors de notre rassemblement républicain qui a été un moment très apprécié par la population. Ce moment a été apprécié car il a contribué à rassurer tous les habitants et parmi eux les croyants, en particulier les juifs, ciblés par les attentats, les musulmans aussi, contre lesquels des réactions hostiles se sont exprimées. Ce moment a été apprécié parce qu’il a précisément démontré l’unité de tous les hommes et de toutes les femmes de bonne volonté contre un ennemie commun qui a pour nom barbarie, haine, intégrisme, intolérance, antisémitisme, racisme.

Je pense que nous devrions chercher tous ensemble à prolonger cette soirée du 14 janvier en s’appuyant sur les liens très forts qui nous unissent et en prenant certaines initiatives, en particulier avec et en direction des jeunes. Nous voyons d’ailleurs un peu partout en France se multiplier ce type d’initiatives qui prennent la forme de marches (comme celle partie de Bordeaux), de débats ou d’échanges entre les lieux de culte. A nous d’y réfléchir et ma porte, vous le savez, vous est largement ouverte. Grâce à vous, représentants de toutes les confessions, à votre participation active, nous pouvons donner un sens profond à ce que nous faisons. Je mesure la chance qui est la nôtre à Sucy de disposer, au sein de toutes les communautés, d’interlocuteurs de très grande qualité capables de mobiliser leur connaissance et leur intelligence au service de notre vivre ensemble. C’est vraiment très précieux à mes yeux comme aux yeux de tous les élus nombreux ici présents.

Alors pour conclure, je forme le vœu que nous trouvions ensemble, en cette année nouvelle qui a si tragiquement débuté dans le fracas des armes, le chemin de la paix et l’énergie d’entraîner sur ce chemin toute la Communauté sucycienne. Nous devons, plus que jamais, dire et répéter combien les religions sont porteuses de ce message de paix en ne laissant aucune place à tous ceux qui s’acharnent par tous les moyens à démontrer le contraire. Comme le dit si justement Ghaleb BENCHEIKH, islamologue érudit bien connu, « on ne peut pas et on ne doit pas se prévaloir d’un idéal religieux pour semer la haine. » Et encore cette formule qui est une formidable réponse à tous les excès : « l’extrémisme est le culte sans la culture ; le fondamentalisme est la croyance sans la connaissance ; l’intégrisme est la religiosité sans la spiritualité. »

Mesdames et Messieurs, je vous remercie.