Hommage à l’Hypercacher: « Il faut qu’on connaisse leurs noms »…

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Plusieurs cérémonies officielles ont été organisées mardi en hommage aux victimes des attaques de janvier.

Le vieil homme attend, un chariot à la main. Monsieur Halimi est un habitué de l’Hypercacher. « J’y viens au moins deux fois par semaine. Je n’ai pas peur. De toute façon, c’est le mektoub ». Mardi matin, ce retraité doit patienter un peu plus longtemps que d’ordinaire. Le supermarché est visité par un hôte inhabituel : François Hollande. Au côté de la maire de Paris, Anne Hidalgo, et devant les familles des défunts, le président de la République y a dévoilé une plaque « à la mémoire des victimes de l’attentat antisémite du 9 janvier ». Philippe Braham, Yohan Cohen, Yoav Hattab, François-Michel Saada. Quatre hommes tombés, il y a un an, sous les balles d’Amedy Coulibaly, un vendredi de janvier. « Il y a un paradoxe que m’a fait remarquer Samuel Sandler [qui a perdu une partie de sa famille lors de l’attaque de l’école Ozar Hatorah de Toulouse, en 2012] » note le grand rabbin de France, Haïm Korsia. « Il m’a dit : “Je m’interdis de prononcer le nom de l’assassin de mon fils et de mes petits-enfants. J’ai l’impression qu’on connaît plus son nom que les leurs”. Je crois qu’il a raison. Il faut que l’on connaisse leurs noms ».

Un peu plus tôt dans la matinée, François Hollande, accompagné notamment par le chef du gouvernement, Manuel Valls, et son ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, s’était rendu dans le XIe arrondissement pour rendre hommage aux victimes de Charlie Hebdo puis à Ahmed Merabet, le policier abattu par les frères Kouachi lors de la course poursuite qui s’était engagée après la fusillade. Sous le regard des familles, une minute de silence a été respectée et une plaque déposée, rue Nicolas-Appert, l’ancien siège du journal, et sur le boulevard Richard Lenoir. Des cérémonies suivies en direct sur les chaînes de télévision et les réseaux sociaux qui ont très vite relevé une coquille grossière sur l’une des plaques : le « i » final du nom du dessinateur Georges Wolinski, mort le 7 janvier, y avait été remplacé par un « y ».

« On s’attaque à la vie »

A travers le parcours présidentiel, c’est une géographie de la terreur qui (re)prenait forme dans la capitale. Une mise en lumière des nouveaux lieux de mémoire qui ont trouvé place dans la conscience collective des Français, meurtris par l’horreur des attentats de janvier et de novembre. « Aujourd’hui, chacun des symboles rappelle les autres » estime Joël Mergui. « Quand on est devant l’Hypercacher, on pense à Charlie Hebdo ; devant Charlie, on se souvient du Bataclan ». Pour le président du Consistoire, la prise d’otages a ouvert la voie à une prise de conscience. « Quand on s’attaque aux Juifs, on s’attaque à la communauté nationale, on s’attaque à la vie ».  « Je crois que c’est toute la France qui devrait être mobilisée » ajoute Roger Cukierman, président du CRIF, qui organise un grand rassemblement unitaire samedi prochain devant l’Hypercacher. « C’est un combat commun que doivent mener toutes les forces de la démocratie contre la barbarie moyenâgeuse des djihadistes ».

Il est midi. Monsieur Halimi peut enfin entamer ses courses. « Il faut revenir ici, sinon on fait le jeu des terroristes ».

Un an après les attentats de « Charlie Hebdo » et de l’Hyper Cacher, la France reste aux prises avec ses démons

Les attentats de Paris contre Charlie Hebdo et l’Hyper Casher, il y a un an, et plus encore ceux du 13 novembre, ont contribué à activer la recomposition politique en cours en France, mais laissé entières les fractures dont souffre le pays. Les 17 morts de l’hebdomadaire satirique et du magasin juif de la porte de Vincennes ont fait défiler dans la rue, le 11 janvier 2015, des millions de gens derrière une cinquantaine de dirigeants du monde entier venus exprimer leur solidarité. Mais « l’esprit du 11 janvier » n’a pas survécu aux débats sur la nature de ce sursaut populaire, au refus d’une partie de la population de se rallier au slogan « Je suis Charlie » et aux jeux politiques traditionnels, qui ont vite repris le dessus avec la campagne des municipales de mars. L’horreur des 130 morts du 13 novembre, en pleine campagne des régionales, marquée par la montée en puissance du Front national (FN), n’aura fait taire les polémiques politiciennes que le temps d’un congrès convoqué en urgence à Versailles.

Est-ce à dire que rien n’a changé en un an ? Évidemment non, estiment des analystes, sans nier le caractère souvent contradictoire des évolutions constatées. Les attentats jihadistes de 2015 ont « créé un besoin d’unité, de rassemblement et de réaffirmation de la cohésion nationale », en même temps qu’un « climat d’insécurité permanent », estime ainsi le député socialiste Christophe Caresche. « C’est le pays qui a obligé par le bas le personnel politique » à répondre à cette « aspiration au rassemblement de la nation » après les attentats de janvier 2015, renchérit le président de la société de conseil CAP, Stéphane Rozès. Une aspiration confirmée par les sondages et renforcée par le caractère massif et aveugle des attentats du 13 novembre. Pour M. Caresche, le discours du président François Hollande devant le Parlement, réuni en congrès le 16 novembre, puis ses vœux aux Français le 31 décembre ont marqué sa volonté de « capter ce sentiment » et de l’incarner.

Inflexion sécuritaire

Après avoir reçu les dirigeants des principaux partis, y compris du FN, M. Hollande a donné à son discours de Versailles une nette inflexion sécuritaire en reprenant des propositions de la droite, comme la déchéance de nationalité pour faits de terrorisme. Pour le président, ce ralliement est le prix à payer pour l’adoption par une majorité des 3/5es d’une révision de la Constitution pour intégrer l’état d’urgence. Si le durcissement du discours sécuritaire a ouvert une nouvelle bataille au sein du Parti socialiste (PS), les sondages montrent que ce durcissement est désormais soutenu par une très large majorité de l’opinion, gauche et droite confondues.
C’est aussi au nom de « l’unité nationale » que M. Hollande a annoncé, le 31 décembre, des mesures en faveur de la formation des chômeurs et de l’apprentissage pour lutter contre un chômage qu’il n’est toujours pas parvenu à enrayer. À droite, la montée du FN aidant, plusieurs dirigeants du parti Les Républicains (LR) ont également plaidé pour un dépassement des clivages partisans traditionnels sur des sujets comme l’emploi.

Ce discours se heurte cependant, dans les deux camps, à la résistance des tenants d’un clivage droite/gauche pur et dur, comme le président de LR et ex-chef de l’État, Nicolas Sarkozy, déterminé à reconquérir l’Élysée en 2017. Le principal rival de M. Sarkozy pour la primaire de LR, Alain Juppé, qui semblait jusqu’ici pouvoir incarner à droite l’aspiration à l’unité nationale des Français, a lui-même durci son discours contre le gouvernement et sur la sécurité.

« Ça va être l’enjeu de 2016… Est-ce qu’une perspective d’unité nationale s’affirme et s’incarne politiquement ou est-ce qu’on revient à un clivage classique ? » souligne M. Caresche.
Pour le politologue Thomas Guénolé, cependant, cette recomposition relève du « fantasme d’éditorialiste ». « Les enquêtes d’opinion montrent que la majorité de la population française veut l’union nationale, mais qu’elle est composée de sous-groupes qui se détestent de plus en plus les uns les autres », explique-t-il. Pour le dirigeant de l’institut Ipsos, Brice Teinturier, les régionales de décembre, perdues par le PS mais pas vraiment gagnées par la droite et marquées par la montée du FN, ont démontré la persistance de fractures sociales profondes. « Plusieurs France s’entrechoquent, explique-t-il. Celle des grandes métropoles qui se projettent vers l’avenir, celle qui se désindustrialise et a l’impression d’être broyée par la mondialisation, et une France indifférente, urbaine, des banlieues, qui se sent oubliée de la République. »

Ces fractures socio-économiques se doublent d’une crispation sur la question de la religion, particulièrement de l’islam, alors que cinq à six millions de Français sont musulmans. Le basculement de jeunes Français dans le jihadisme et les attentats de 2015 ont également été, une fois de plus, l’occasion d’une remise en cause du modèle français d’intégration.
Mais pour le président de SOS Racisme, Dominique Sopo, le problème reste entier et aurait même empiré. M. Sopo déplore que les dirigeants français aient adopté une posture morale consistant « à dire qu’il y a une partie de la population à rééduquer », plutôt que d’affronter les défis économiques et sociaux de l’intégration.