Raphy Marciano : La nouvelle solitude des juifs de France ?

La réflexion de Raphy Marciano, Directeur du Centre universitaire et culturel juif d’Europe.

A plusieurs reprises dans leur longue histoire, les Juifs de France ont connu des moments où le sentiment de faire partie intégrante et    reconnue de la Nation était très fort. Mais aussi des moments où ils ont eu l’impression d’être abandonnés et comme exclus de la conscience nationale. Ces moments de solitude ont été particulièrement douloureux.

Aujourd’hui, ils n’ont pas à regretter, ni l’hostilité, ni l’apathie, des pouvoirs publics, décidés à agir énergiquement contre toute manifestation d’antisémitisme, mais ils ont la sensation que la société civile n’a pas compris la gravité, la souffrance de la situation que les juifs traversent dans notre pays.

Nous sommes confrontés jour après jour à des témoignages irréfutables d’hostilité, de malveillance, et de violence, qui nous rappellent – à tort ou à raison – les années noires et menaçantes qui ont précédé la Seconde Guerre mondiale.

Les démentis des personnalités politiques, des journalistes, des intellectuels semblent parfois dérisoires face au caractère dramatique de certaines de ces manifestations comme l’enlèvement, la torture et le meurtre d’Ilan Halimi, la tuerie de l’école juive de Toulouse ou l’attentat de l’Hyper cacher de Vincennes.

Tout se passe comme si la société civile, fatiguée et amorphe, était incapable de toute réaction et d’indignation morale !

Les récents événements de janvier 2015 ont changé la donne. La société dans son ensemble apparaît comme beaucoup plus consciente de la gravité de la terreur qui nous menace. Le public semble beaucoup plus déterminé à affirmer son opposition à toutes violences au nom de la foi. Pourtant nombreux sont les esprits au sein de la communauté juive de France qui s’interrogent sur ce sursaut civique -hélas tardif.  Certes, nous devons encourager ce sursaut, cet élan, mais nous pouvons aussi nous interroger sur ses limites et ses ambiguïtés.

Une question douloureuse et amère se pose dans certains cercles des plus modérés : les millions de manifestants qui ont défilé dans toutes les villes de France, condamnant avec énergie le meurtre des journalistes de Charlie Hebdo et  des policiers… pensaient-ils aussi aux quatre victimes de la Porte de Vincennes froidement assassinés pour la seule raison d’être juifs ? On peut s’interroger sur les lacunes et les silences d’une société tournée depuis plusieurs années vers l’indifférence et le « chacun pour soi ». L’égoïsme, l’individualisme, le refus de toute ambition collective, de tout rêve commun, de tout idéal supérieur nous interpellent.

A nous de réfléchir, non seulement à la solitude des juifs de France, à ses raisons profondes, à ses causes ; à nous aussi de parler à la conscience nationale dans un appel au réveil. Quand la terreur s’exerce sur un individu, une famille, une communauté, un peuple, dans le silence et l’indifférence apathique des autres, alors il y a un danger mortel pour notre civilisation, car cela veut dire que les artisans du malheur peuvent agir sans s’inquiéter des conséquences de leurs actes.

Nous vivons dans une société libre et démocratique et c’est là l’ironie. Dans notre société, nous avons le devoir moral d’être solidaires, de toutes les victimes du fanatisme, et de l’intolérance. Nous ne pouvons absolument pas laisser les ennemis de la civilisation accomplir leur triste besogne, dans le silence ou dans la déploration purement verbale de la société.

L’enseignement éthique qu’il convient de tirer de cette tragédie ne concerne pas seulement tel ou tel groupe, telle ou telle religion, telle ou telle composante de la société, mais l’ensemble de la France et des Français. Le pays est en guerre contre la barbarie, il ne gagnera pas cette guerre sans une mobilisation de toutes ses forces vives.  Dans ce combat, personne n’a le droit moral de rester à l’écart.

Les juifs de France prendront toute leur part dans ce combat comme ils l’ont toujours fait au cours des siècles.