Jamais sans ma kippa !

Les propos, mardi soir, du président du Consistoire de Marseille Zvi Ammar recommandant aux juifs de ne plus porter la kippa dans la rue ont suscité un flot de protestations dans la communauté juive. Serge Benattar (Zal) y avait consacré un éditorial il y a plus de dix ans, le 27 novembre 2003, qui reste plus que jamais d’actualité.

J’ai ôté ma kippa et coiffé une casquette, et la virgule Nike qui l’orne a mis un point final à mon signe ostentatoire de religiosité. Je n’étais plus agressif, je me fondais dans le paysage, je ressemblais à tout un chacun, à un Français moyen, comme tout le monde, en quelque sorte. J’étais enfin libre, je ne serais plus la risée de ceux qui se retournaient sur mon passage, je ne me sentais plus investi d’une mission, celle de donner l’exemple du Juif pieux. Je pouvais enfin traverser la rue au feu vert, rester assis dans le bus devant une vieille dame qui avait tout le mal du monde à rester debout, je pouvais enfin me permettre toutes les folies, je n’avais plus de signe distinctif, et je me demandais comment je n’avais pas pensé plus tôt à me libérer de ce carcan si lourd à porter. Et de plus, ce qui n’est pas le moindre des avantages, je me sentais enfin en sécurité. Quels ne furent donc pas mon étonnement, ma surprise, lorsque, au détour d’une rue, j’entendis : “ Sale Juif ”.

Déception. Et alors que je constatais devant mon miroir que mon initiative n’avait servi à rien, je compris presque instantanément que ma barbe faisait désordre, qu’elle aussi était un signe ostentatoire, et qu’elle devenait donc l’objet de tous mes nouveaux tourments. Non sans quelques hésitations, je branchais mon rasoir, et le temps d’une prière à D’ieu, histoire de me faire pardonner, mais quelque peu rassuré à l’idée qu’il comprendrait ma démarche, sécurité oblige, je décollais cette masse de poils qui faisait partie de mon faciès depuis plus de 35 ans. J’avais un visage de bébé et j’avais toutes les peines du monde à me reconnaître. La transformation fut radicale, j’étais un homme nouveau. Me voilà donc sur les boulevards, la casquette Nike rivée sur la tête, la “ peau-lice ”, sécurité oblige, bravant tous les regards. Je pouvais même me permettre de ricaner devant deux femmes musulmanes que je croisais et dont le visage était presque en totalité recouvert d’un voile blanc immaculé. Quel courage, pensais-je ! C’est alors, ô comble du malheur, qu’une d’elles me lança sans même se retourner : “ Sale juif ”. C’était un peu comme si le monde s’écroulait sur ma tête qui n’avait d’ailleurs plus de kippa. Tout était donc remis en question ? Comment avait-elle deviné que j’étais juif ? C’est alors que je m’aperçus que l’étoile de David que j’avais soigneusement camouflée sous ma chemise, inconsciente, à la faveur d’un faux mouvement, s’était éprise de liberté et trônait, à la vue de tous. Horreur ! Je la saisis à pleines mains, et m’assurant d’un regard furtif que personne ne me voyait, je donnais un coup sec à ma chaîne qui se brisa. Je fis ainsi sauter un des derniers maillons qui m’enchaînaient à des milliers d’années d’Histoire, de mémoire, de tradition. Sécurité oblige !

« C’est bien sûr mon âme que l’on me demande de vendre au diable de la sécurité, et au diable tout court ! »

Plus de kippa, plus de barbe, plus d’étoile, cette fois-ci, je pouvais sans crainte arpenter les rues de Paris. Je prenais un malin plaisir à aller et venir sur les Champs-Elysées, incognito, me fondant dans la foule qui ne faisait même pas attention à moi. Enfin. Après ces moments exquis de liberté, je décidais de rentrer chez moi. Et au moment même où j’ouvris la porte de ma BMW, un groupe d’adolescents m’entoura et d’un air moqueur me lança: « Eh, p’tit juif, on peut faire un tour avec ta turvoi de feuj’ ? ». Alors là, c’en était trop ! Tous mes efforts étaient réduits à néant. Qu’est-ce que j’avais encore oublié ? Quelles étaient les causes de ce nouvel acharnement ? Etait-ce mon signe ostentatoire de richesse ou tout simplement mon nez crochu déjà visible de l’autre côté de la rue ? J’étais las et exténué, à deux doigts de tout abandonner et de crier à la face du monde : « Je suis Juif, et j’offre mon corps à qui veut m’attaquer ». Ma kippa, ma barbe, mon étoile, ma BMW, mon nez crochu, et pourquoi pas mon âme ? Mon âme, mais c’est bien sûr mon âme que l’on me demande de vendre au diable de la sécurité, et au diable tout court ! Mon âme, je n’y avais pas pensé plus tôt. Cela m’aurait évité de balancer ma kippa, de raser ma barbe, de détruire mon étoile et, qui sait, de me précipiter chez un chirurgien esthétique (pour mon nez, bien sûr).

Allez vous étonner si demain, au fond d’un parking, je suis sauvagement agressé. Avec tous ces déguisements, même D’ieu ne me reconnaîtra plus pour me protéger ! Qui a parlé de sécurité ?

Serge Benattar Zal, Fondateur du journal Actualité juive

Joël Mergui, Président du Consistoire : « Ce n’est pas la kippa qu’on doit enlever mais le terrorisme »…

Le président du Consistoire israélite de France, Joël Mergui, a déploré mercredi l’appel lancé par le Consistoire israélite de Marseille à retirer la kippa temporairement après l’attaque à la machette perpétrée contre un enseignant juif.

« Je comprends la décision du président du Consistoire de Marseille face à ce qu’il vit mais il n’est pas question qu’on soit dans une position de renoncement. Ce serait un signal gravissime pour notre pays de renoncer à notre identité », a déclaré le responsable communautaire sur Itélé.

« Aujourd’hui, le problème en France, ce n’est pas la kippa qu’on doit enlever mais le terrorisme. Il ne faudrait pas qu’on en arrive à penser un jour que s’il y a un Juif qui est agressé que c’est de sa faute « , a-t-il poursuivi.

Le jeune terroriste turc, auteur lundi d’une attaque à la machette contre un enseignant juif à Marseille, a justifié son geste en évoquant les attaques terroristes palestiniennes.

mardi soir 12/01, le suspect a été transféré à Paris, dans les locaux de l’antiterrorisme avant une probable mis en examen demain, quelques jours avant ses 16 ans.

Source : Éric Hazan – © Le Monde Juif .info

Tragique assassinat d’Alain Ghozland l’un des piliers de la communauté juive de Créteil et conseiller municipal de la ville…

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A Créteil, le tragique assassinat d’Alain Ghozland, un pilier de la communauté juive

Alain Ghozland, conseiller municipal de Créteil (Val-de-Marne) a été retrouvé mort à son domicile, indiquent plusieurs sources, mardi 12 janvier. L’homme, âgé de 73 ans, a été retrouvé chez lui ce mardi matin. C’est son frère, inquiet de ne pas le voir à la synagogue lundi soir, qui a donné l’alerte. « L’appartement présente un grand désordre et la voiture de la victime a disparu », selon des sources policières.

Une autopsie pour déterminer les causes de la mort

Selon RTL, le corps présenterai des traces de coups de couteau. Le Parisien écrit pour sa part que la victime a été battue. La Brigade criminelle de Paris est chargée de l’enquête. Une autopsie va être pratiquée pour déterminer les causes de sa mort.

Alain Ghozland était conseiller municipal Les Républicains à Créteil, commune dirigée par le socialiste Laurent Cathala. Il était, selon RTL, l’un des piliers de la communauté juive de la ville.

C’est parce qu’il ne s’était pas présenté lundi soir à l’office de Minha que ses proches se sont inquiétés pour lui. Le lendemain matin, son frère a découvert son corps gisant au sol au domicile de sa maman. Âgée de 102 ans, elle était partie passer quelques jours en famille au moment des faits. Sans doute Alain Ghozland s’était-il rendu à son domicile pour récupérer son courrier ? Nul ne le sait pour l’heure. Il semble en revanche que l’appartement familial aurait été largement fouillé. Des cartes bleues auraient disparu, ainsi que les clés et la voiture de la victime.

Contrairement à ce qui a pu être dit, Alain Ghozland n’aurait pas subi de coups de couteaux, bien qu’il ait été agressé. Des morceaux de tissu arrachés, retrouvés dans sa main, accréditent la thèse d’une lutte. Aurait-il succombé suite à des coups ou après avoir fait une crise cardiaque ? Les médecins légistes doivent désormais déterminer les causes de cette mort tragique.

L’annonce de l’assassinat d’Alain Ghozland a plongé tous les habitants de Créteil dans l’effroi et la tristesse. Ce chef d’entreprise à la retraite était connu et apprécié de tous, y compris de ses adversaires politiques. Élu conseiller municipal Les Républicains et siégeant au conseil de la ville depuis dont il était le doyen, il était aussi actif à la mairie qu’au sein de la communauté juive dont il faisait là aussi partie des piliers. Ses parents, arrivés d’Algérie dans les années soixante-dix, avaient fait partie des premières familles juives installées dans cette nouvelle banlieue qu’était alors Créteil. Son père, Haïm Ghozland avait été l’un des fondateurs du centre communautaire de Créteil et adjoint au maire de la Ville.

« C’était une figure légendaire de la vie locale », raconte Michel Zerbib, le directeur de l’information de Radio J, qui était l’un de ses amis de longue date. « Il allait au centre communautaire tous les jours. Tout le monde le connaissait et l’appréciait. C’est absolument tragique », confie aussi Albert Elharrar, le président de la communauté de Créteil.

L’enquête ouverte pour « homicide volontaire » a été confiée à la Brigade criminelle de Paris. Toutes les pistes sont, pour l’heure à explorer même si celle d’un cambriolage qui aurait dégénéré semble être privilégiée.

Colère de Joël Mergui (Consistoire) : « Il faut qu’on arrête de dire que ce sont des déséquilibrés »

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Le président du Consistoire israélite de France, Joël Mergui, a dénoncé lundi la constance des autorités françaises à qualifier de « déséquilibrés » les auteurs d’attaques antijuives.

« Il faut qu’on arrête de dire que ce sont des déséquilibrés. L’auteur de l’attaque de Marseille est un brillant élève. Il n’a exprimé aucun regret et assume son acte tout en se revendiquant de Daech », a déclaré le responsable communautaire sur BFMTV.

« C’est un véritable problème. Ils (les auteurs d’attaques) n’ont plus peur de rien et encore moins de la force publique. La peur doit changer de camp », a-t-il poursuivi.

L’auteur de l’agression antisémite à Marseille, un jeune Turc d’origine kurde âgé de 15 ans, a revendiqué agir « au nom d’Allah » et du groupe Etat islamique.

L’adolescent a frappé par derrière l’enseignant juif qui portait une kippa, le blessant à l’épaule et au bras avec une machette qu’il a laissée sur place, avant de s’enfuir, puis d’être arrêté. Il portait également un couteau avec une lame en céramique qu’il destinait « aux policiers qu’il comptait agresser ».

Souce : Éric Hazan – © Le Monde Juif .info | Photo : DR

Message de Haim Korsia, Grand Rabbin de France :

Révolté par l’abjecte et innommable agression antisémite dont a été victime ce matin un enseignant à Marseille.
Apres m’être entretenu avec lui, je lui renouvelle mes vœux de prompt rétablissement et de bonne santé.

J’appelle une nouvelle fois et instamment les médias à utiliser les mots avec discernement et à cesser de qualifier les auteurs de telles ignominies de « déséquilibrés » alors même que ceux-ci revendiquent clairement leurs actes.
« Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde » disait Albert Camus. Oui, les mots ont un sens, et nous avons collectivement la responsabilité de les utiliser à escient.

Un professeur juif légèrement blessé à Marseille : l’agresseur de 15 ans se revendique de l’Etat islamique

agression marseille

Un mineur, affirmant «avoir agi au nom de Daesh», a blessé légèrement avec une machette un homme qui portait une kippa lundi matin à Marseille, en pleine rue, avant d’être interpellé par la police et de revendiquer un geste antisémite.

L’adolescent de nationalité turque et d’origine kurde, qui aura 16 ans la semaine prochaine, a répété «avoir agi au nom de Daesh», a dit M. Robin, lors d’une conférence de presse, précisant que cette revendication avait eu lieu au moment de son interpellation et non de l’agression. Pour le procureur, «il s’agit à l’évidence d’une agression à caractère antisémite» avec une «forme de préméditation», et que le profil de l’agresseur «semble être celui d’une personne radicalisée via internet».  Le jeune homme a porté des coups à la victime devant la mairie du 9e arrondissement de Marseille, devant des témoins, et a laissé l’arme sur place, a précisé cette source. La victime a été légèrement blessée au dos et à la main. Parti en courant, l’auteur présumé a été interpellé dix minutes plus tard par la brigade anticriminalité (BAC). «Il s’agit d’un individu très excité, mais qui revendique clairement son acte, qu’on peut qualifier d’antisémite», a indiqué une source proche du dossier.

«L’individu ne semble pas jouir de toutes ses facultés» (!!!), a précisé une autre source proche du dossier. «L’affaire est prise très au sérieux par les enquêteurs», a expliqué la source policière. Selon le Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif), la victime est un enseignant d’une école juive. «L’enseignant de l’école juive a subi des blessures aux mains, s’est défendu et a mis en fuite son agresseur», écrit le Crif sur son compte Twitter. «L’enseignant de l’école juive a été poursuivi sur 50 mètres, sur le chemin de son travail».

Le parquet a ouvert une enquête pour «tentative d’assassinat à raison de la religion» et «apologie du terrorisme» suite à l’agression d’un enseignant à la machette par un jeune Turc qui se serait radicalisé sur internet.

Le parquet de Marseille a ouvert lundi une enquête pour «tentative d’assassinat à raison de la religion» et «apologie du terrorisme» suite à l’agression d’un enseignant juif d’une école hébraïque de Marseille. Le procureur de Marseille a affirmé lors d’une conférence de presse que l’agresseur de nationalité turque et d’origine kurde âgé de 16 ans s’est revendiqué de l’État islamique. «Il a dit avoir agi ainsi au nom d’Allah, de l’État islamique (EI), répétant avoir agi à plusieurs reprises au nom de Daech», a expliqué Brice Robin.

Suite à son interpellation par les forces de l’ordre, le jeune garçon s’est mis à évoquer Allah et a affirmé que, s’il sortait du commissariat, «il se procurerait une arme à feu et tuerait des policiers». L’adolescent, qui possède toutes ses facultés mentales selon le procureur, a ouvertement revendiqué aux policiers le caractère antisémite de son agression. Une perquisition a eu lieu aujourd’hui à son domicile situé à proximité du lieu de l’attaque. Inconnu des services de renseignement, ce lycéen est un bon élève sans antécédent judiciaire. Sa famille a confié aux services de police ne pas avoir remarqué sa radicalisation qui aurait eu lieu «via internet». Le parquet de Marseille devrait requérir sa mise en examen.

La victime, enseignant à l’Institut franco hébraïque de la Source, était coiffé d’une kippa et se regagnait l’établissement du IXe arrondissement vers 9 heures ce lundi matin quand l’agression a eu lieu. L’adolescent muni d’une machette à la lame émoussée a alors attaqué l’homme de dos au niveau de l’épaule puis à l’avant bras. La victime s’est protégée à l’aide de son livre religieux. Machette.jpg

Hommage à l’Hypercacher: « Il faut qu’on connaisse leurs noms »…

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Plusieurs cérémonies officielles ont été organisées mardi en hommage aux victimes des attaques de janvier.

Le vieil homme attend, un chariot à la main. Monsieur Halimi est un habitué de l’Hypercacher. « J’y viens au moins deux fois par semaine. Je n’ai pas peur. De toute façon, c’est le mektoub ». Mardi matin, ce retraité doit patienter un peu plus longtemps que d’ordinaire. Le supermarché est visité par un hôte inhabituel : François Hollande. Au côté de la maire de Paris, Anne Hidalgo, et devant les familles des défunts, le président de la République y a dévoilé une plaque « à la mémoire des victimes de l’attentat antisémite du 9 janvier ». Philippe Braham, Yohan Cohen, Yoav Hattab, François-Michel Saada. Quatre hommes tombés, il y a un an, sous les balles d’Amedy Coulibaly, un vendredi de janvier. « Il y a un paradoxe que m’a fait remarquer Samuel Sandler [qui a perdu une partie de sa famille lors de l’attaque de l’école Ozar Hatorah de Toulouse, en 2012] » note le grand rabbin de France, Haïm Korsia. « Il m’a dit : “Je m’interdis de prononcer le nom de l’assassin de mon fils et de mes petits-enfants. J’ai l’impression qu’on connaît plus son nom que les leurs”. Je crois qu’il a raison. Il faut que l’on connaisse leurs noms ».

Un peu plus tôt dans la matinée, François Hollande, accompagné notamment par le chef du gouvernement, Manuel Valls, et son ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, s’était rendu dans le XIe arrondissement pour rendre hommage aux victimes de Charlie Hebdo puis à Ahmed Merabet, le policier abattu par les frères Kouachi lors de la course poursuite qui s’était engagée après la fusillade. Sous le regard des familles, une minute de silence a été respectée et une plaque déposée, rue Nicolas-Appert, l’ancien siège du journal, et sur le boulevard Richard Lenoir. Des cérémonies suivies en direct sur les chaînes de télévision et les réseaux sociaux qui ont très vite relevé une coquille grossière sur l’une des plaques : le « i » final du nom du dessinateur Georges Wolinski, mort le 7 janvier, y avait été remplacé par un « y ».

« On s’attaque à la vie »

A travers le parcours présidentiel, c’est une géographie de la terreur qui (re)prenait forme dans la capitale. Une mise en lumière des nouveaux lieux de mémoire qui ont trouvé place dans la conscience collective des Français, meurtris par l’horreur des attentats de janvier et de novembre. « Aujourd’hui, chacun des symboles rappelle les autres » estime Joël Mergui. « Quand on est devant l’Hypercacher, on pense à Charlie Hebdo ; devant Charlie, on se souvient du Bataclan ». Pour le président du Consistoire, la prise d’otages a ouvert la voie à une prise de conscience. « Quand on s’attaque aux Juifs, on s’attaque à la communauté nationale, on s’attaque à la vie ».  « Je crois que c’est toute la France qui devrait être mobilisée » ajoute Roger Cukierman, président du CRIF, qui organise un grand rassemblement unitaire samedi prochain devant l’Hypercacher. « C’est un combat commun que doivent mener toutes les forces de la démocratie contre la barbarie moyenâgeuse des djihadistes ».

Il est midi. Monsieur Halimi peut enfin entamer ses courses. « Il faut revenir ici, sinon on fait le jeu des terroristes ».

Un an après les attentats de « Charlie Hebdo » et de l’Hyper Cacher, la France reste aux prises avec ses démons

Les attentats de Paris contre Charlie Hebdo et l’Hyper Casher, il y a un an, et plus encore ceux du 13 novembre, ont contribué à activer la recomposition politique en cours en France, mais laissé entières les fractures dont souffre le pays. Les 17 morts de l’hebdomadaire satirique et du magasin juif de la porte de Vincennes ont fait défiler dans la rue, le 11 janvier 2015, des millions de gens derrière une cinquantaine de dirigeants du monde entier venus exprimer leur solidarité. Mais « l’esprit du 11 janvier » n’a pas survécu aux débats sur la nature de ce sursaut populaire, au refus d’une partie de la population de se rallier au slogan « Je suis Charlie » et aux jeux politiques traditionnels, qui ont vite repris le dessus avec la campagne des municipales de mars. L’horreur des 130 morts du 13 novembre, en pleine campagne des régionales, marquée par la montée en puissance du Front national (FN), n’aura fait taire les polémiques politiciennes que le temps d’un congrès convoqué en urgence à Versailles.

Est-ce à dire que rien n’a changé en un an ? Évidemment non, estiment des analystes, sans nier le caractère souvent contradictoire des évolutions constatées. Les attentats jihadistes de 2015 ont « créé un besoin d’unité, de rassemblement et de réaffirmation de la cohésion nationale », en même temps qu’un « climat d’insécurité permanent », estime ainsi le député socialiste Christophe Caresche. « C’est le pays qui a obligé par le bas le personnel politique » à répondre à cette « aspiration au rassemblement de la nation » après les attentats de janvier 2015, renchérit le président de la société de conseil CAP, Stéphane Rozès. Une aspiration confirmée par les sondages et renforcée par le caractère massif et aveugle des attentats du 13 novembre. Pour M. Caresche, le discours du président François Hollande devant le Parlement, réuni en congrès le 16 novembre, puis ses vœux aux Français le 31 décembre ont marqué sa volonté de « capter ce sentiment » et de l’incarner.

Inflexion sécuritaire

Après avoir reçu les dirigeants des principaux partis, y compris du FN, M. Hollande a donné à son discours de Versailles une nette inflexion sécuritaire en reprenant des propositions de la droite, comme la déchéance de nationalité pour faits de terrorisme. Pour le président, ce ralliement est le prix à payer pour l’adoption par une majorité des 3/5es d’une révision de la Constitution pour intégrer l’état d’urgence. Si le durcissement du discours sécuritaire a ouvert une nouvelle bataille au sein du Parti socialiste (PS), les sondages montrent que ce durcissement est désormais soutenu par une très large majorité de l’opinion, gauche et droite confondues.
C’est aussi au nom de « l’unité nationale » que M. Hollande a annoncé, le 31 décembre, des mesures en faveur de la formation des chômeurs et de l’apprentissage pour lutter contre un chômage qu’il n’est toujours pas parvenu à enrayer. À droite, la montée du FN aidant, plusieurs dirigeants du parti Les Républicains (LR) ont également plaidé pour un dépassement des clivages partisans traditionnels sur des sujets comme l’emploi.

Ce discours se heurte cependant, dans les deux camps, à la résistance des tenants d’un clivage droite/gauche pur et dur, comme le président de LR et ex-chef de l’État, Nicolas Sarkozy, déterminé à reconquérir l’Élysée en 2017. Le principal rival de M. Sarkozy pour la primaire de LR, Alain Juppé, qui semblait jusqu’ici pouvoir incarner à droite l’aspiration à l’unité nationale des Français, a lui-même durci son discours contre le gouvernement et sur la sécurité.

« Ça va être l’enjeu de 2016… Est-ce qu’une perspective d’unité nationale s’affirme et s’incarne politiquement ou est-ce qu’on revient à un clivage classique ? » souligne M. Caresche.
Pour le politologue Thomas Guénolé, cependant, cette recomposition relève du « fantasme d’éditorialiste ». « Les enquêtes d’opinion montrent que la majorité de la population française veut l’union nationale, mais qu’elle est composée de sous-groupes qui se détestent de plus en plus les uns les autres », explique-t-il. Pour le dirigeant de l’institut Ipsos, Brice Teinturier, les régionales de décembre, perdues par le PS mais pas vraiment gagnées par la droite et marquées par la montée du FN, ont démontré la persistance de fractures sociales profondes. « Plusieurs France s’entrechoquent, explique-t-il. Celle des grandes métropoles qui se projettent vers l’avenir, celle qui se désindustrialise et a l’impression d’être broyée par la mondialisation, et une France indifférente, urbaine, des banlieues, qui se sent oubliée de la République. »

Ces fractures socio-économiques se doublent d’une crispation sur la question de la religion, particulièrement de l’islam, alors que cinq à six millions de Français sont musulmans. Le basculement de jeunes Français dans le jihadisme et les attentats de 2015 ont également été, une fois de plus, l’occasion d’une remise en cause du modèle français d’intégration.
Mais pour le président de SOS Racisme, Dominique Sopo, le problème reste entier et aurait même empiré. M. Sopo déplore que les dirigeants français aient adopté une posture morale consistant « à dire qu’il y a une partie de la population à rééduquer », plutôt que d’affronter les défis économiques et sociaux de l’intégration.

 

Raphy Marciano : La nouvelle solitude des juifs de France ?

La réflexion de Raphy Marciano, Directeur du Centre universitaire et culturel juif d’Europe.

A plusieurs reprises dans leur longue histoire, les Juifs de France ont connu des moments où le sentiment de faire partie intégrante et    reconnue de la Nation était très fort. Mais aussi des moments où ils ont eu l’impression d’être abandonnés et comme exclus de la conscience nationale. Ces moments de solitude ont été particulièrement douloureux.

Aujourd’hui, ils n’ont pas à regretter, ni l’hostilité, ni l’apathie, des pouvoirs publics, décidés à agir énergiquement contre toute manifestation d’antisémitisme, mais ils ont la sensation que la société civile n’a pas compris la gravité, la souffrance de la situation que les juifs traversent dans notre pays.

Nous sommes confrontés jour après jour à des témoignages irréfutables d’hostilité, de malveillance, et de violence, qui nous rappellent – à tort ou à raison – les années noires et menaçantes qui ont précédé la Seconde Guerre mondiale.

Les démentis des personnalités politiques, des journalistes, des intellectuels semblent parfois dérisoires face au caractère dramatique de certaines de ces manifestations comme l’enlèvement, la torture et le meurtre d’Ilan Halimi, la tuerie de l’école juive de Toulouse ou l’attentat de l’Hyper cacher de Vincennes.

Tout se passe comme si la société civile, fatiguée et amorphe, était incapable de toute réaction et d’indignation morale !

Les récents événements de janvier 2015 ont changé la donne. La société dans son ensemble apparaît comme beaucoup plus consciente de la gravité de la terreur qui nous menace. Le public semble beaucoup plus déterminé à affirmer son opposition à toutes violences au nom de la foi. Pourtant nombreux sont les esprits au sein de la communauté juive de France qui s’interrogent sur ce sursaut civique -hélas tardif.  Certes, nous devons encourager ce sursaut, cet élan, mais nous pouvons aussi nous interroger sur ses limites et ses ambiguïtés.

Une question douloureuse et amère se pose dans certains cercles des plus modérés : les millions de manifestants qui ont défilé dans toutes les villes de France, condamnant avec énergie le meurtre des journalistes de Charlie Hebdo et  des policiers… pensaient-ils aussi aux quatre victimes de la Porte de Vincennes froidement assassinés pour la seule raison d’être juifs ? On peut s’interroger sur les lacunes et les silences d’une société tournée depuis plusieurs années vers l’indifférence et le « chacun pour soi ». L’égoïsme, l’individualisme, le refus de toute ambition collective, de tout rêve commun, de tout idéal supérieur nous interpellent.

A nous de réfléchir, non seulement à la solitude des juifs de France, à ses raisons profondes, à ses causes ; à nous aussi de parler à la conscience nationale dans un appel au réveil. Quand la terreur s’exerce sur un individu, une famille, une communauté, un peuple, dans le silence et l’indifférence apathique des autres, alors il y a un danger mortel pour notre civilisation, car cela veut dire que les artisans du malheur peuvent agir sans s’inquiéter des conséquences de leurs actes.

Nous vivons dans une société libre et démocratique et c’est là l’ironie. Dans notre société, nous avons le devoir moral d’être solidaires, de toutes les victimes du fanatisme, et de l’intolérance. Nous ne pouvons absolument pas laisser les ennemis de la civilisation accomplir leur triste besogne, dans le silence ou dans la déploration purement verbale de la société.

L’enseignement éthique qu’il convient de tirer de cette tragédie ne concerne pas seulement tel ou tel groupe, telle ou telle religion, telle ou telle composante de la société, mais l’ensemble de la France et des Français. Le pays est en guerre contre la barbarie, il ne gagnera pas cette guerre sans une mobilisation de toutes ses forces vives.  Dans ce combat, personne n’a le droit moral de rester à l’écart.

Les juifs de France prendront toute leur part dans ce combat comme ils l’ont toujours fait au cours des siècles.